Après les 94 millions de doses vaccinales pour la grippe A H1N1, après l’annonce de plus de 1500 maisons promises à la destruction dans les suites de la tempête Xynthia, aujourd’hui la fermeture du trafic aérien européen en raison du nuage de cendres obscurcit un peu plus le ciel du principe de précaution. L’excès de prudence, la protection maximale, pour ne pas dire jusqu’au-boutiste, sont sévèrement critiqués de toutes parts et le principe de précaution remis en cause. Et pourtant, le principe de précaution n’est qu’un principe de prudence et de raison.A entendre nos dirigeants et autres hauts responsables administratifs, « le principe de précaution, c’est la précaution maximale » ! A cette phrase du Directeur général de la santé, responsable de la cellule de lutte contre la grippe, mon sang de juriste n’a fait qu’un tour ! J’ai alors pensé à mon professeur préféré, et espéré qu’il n’était pas devant son poste de télé !
En effet, le principe de précaution au sens juridique, y compris tel qu’il est inscrit dans la constitution, n’a rien à voir avec cette application politique et médiatique d’un principe d’inaction absolue ou de suraction maximale. Cette application totalement erronée et dévoyée du principe de précaution s’explique sans doute, dans notre pays habitué aux violentes crises sanitaires, par la peur des responsables politiques de voir leur responsabilité engagée pour manque d’action…
Erreur ! car si leur responsabilité peut être retenue pour inaction, elle le sera à coup sûr pour une action disproportionnée et injustifiée. Entre le rien et le tout, il y a un juste milieu, juste milieu dicté par le principe, juridique, de précaution.
Contrairement à une idée reçue, le principe de précaution prévoit l’adoption de « mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (art 5 de la Charte constitutionnelle de l’environnement), ou encore de « mesures effectives et proportionnées … à un coût économiquement acceptable » (art L 110-1 du code de l’environnement). Ainsi, il reviendra au juge de contrôler, malheureusement a posteriori, si une mesure était manifestement disproportionnée et à un coût prohibitif.
La définition juridique du principe de précaution n’oblige donc pas à prendre des mesures extrêmes, absolues et sans évaluation ! Au contraire, et la seule et véritable obligation du principe de précaution est l’évaluation pour lever l’incertitude indissociable du principe. Ainsi, si l’étude et l’évaluation sont nécessaires, c’est que la décision doit être fondée, justifiée. Là encore, le contrôle du juge pourra intervenir autour de l’erreur manifeste d’appréciation.
Enfin, puisque « le principe de précaution pour les juristes n’est pas un principe de décision mais un principe procédural. », les décisions se revendiquant du principe de précaution pourront être contrôlées quant à leur procédure d’élaboration. Le juge a toute légitimité pour contrôler que la décision a été prise en respectant certaines formes.
Aussi politiques que peuvent être les décisions résultant du principe de précaution, elles n’échappent pas, loin s’en faut, au contrôle des juges et la responsabilité de l’Etat pourra s’en trouver engagée. Ce contrôle est d’ailleurs, le fondement d’un Etat de droit.
Vous avez tout à fait raison: il faut sauver le principe de précaution. Ce principe est systématiquement traduit, à tort, notamment par les médias, par « dans le doute abstiens-toi ».
Alors que son objectif est inverse : dans le doute, recueille le maximum d’avis d’experts pour pouvoir prendre une décision et agir. Il ne s’agit donc pas pour les politiques ou les chefs d’entreprise, d’ouvrir le parapluie, mais de trancher, en acceptant les risques inhérents à leurs responsabilités et en minimisant, en revanche, le risque pour les populations.
Dans les cas cités, H1N1 et suspension des vols, les politiques ont plutôt eu raison. Les critiquer après coup, pour des raisons financières est stupide. L’essentiel était de minimiser les conséquences humaines.
En effet, l’utilisation du principe de précaution comme un principe parapluie est non seulement une erreur mais surtout constitue un danger pour des responsables qui pensent ainsi fuir leurs responsabilités.
S’agissant des critiques pour des raisons financières, je ne suis pas d’accord avec vous.
Premièrement, la définition juridique du principe de précaution prévoit que les mesures doivent être à un coût économiquement acceptable.
De plus, est-il vraiment nécessaire de dépenser des milliards pour tuer une petite mouche? Je ne crois pas. Si une vie humaine n’a pas de prix, les finances publiques ont un coût et les politiques en sont responsables. En l’occurrence, en ce qui concerne la grippe, les experts ont su rapidement que le virus n’était pas aussi dangereux et donc que de telles dépenses n’étaient pas utiles. Au-delà, malgré les millions, on voit que le plan de prévention de la grippe a été un échec, au regard notamment du taux de population vaccinée. Tout n’est pas une question d’argent. Il faudrait juste apprendre à mieux le dépenser.
Enfin, ce n’est pas qu’une question d’argent mais aussi de désensibilisation de la population au risque. A force de crier « au risque au risque », quand il survient plus personne n’y croit et les mesures de protection n’ont plus aucun effet. Et c’est là qu’arrivent les conséquences humaines.