La renaissance de la santé publique ces dernières années a favorisé la prise de conscience des liens entre santé et environnement. A la double faveur de la crise de la science médicale, qui atteint ses limites, mais aussi de la multiplication des « affaires de santé publique » et autres crises sanitaires, ces liens sont aujourd’hui réaffirmés avec d’autant plus de force que la recherche apporte enfin une caution scientifique.
Les limites du tout curatif
Au XXème siècle, la santé se tourne presque exclusivement vers une médecine curative et individuelle centrée sur la maladie, au détriment parfois même de l’individu. La technicisation de la médecine conduit à déshumaniser la relation médecin-malade. La personne du patient n’est plus considérée en tant que telle mais comme un agrégat de données biologiques, radiologiques, génétiques et statistiques. La relation médicale se réduit à une suite d’analyse et de résultats biologiques, sans que le médecin n’apporte aucune attention à l’environnement du malade. La révolution technique permet à la médecine de soigner et de guérir, voire même d’éradiquer des maladies. Pour la première fois, la médecine repousse même les frontières de la mort. Parallèlement, le droit à la protection de la santé et la sécurité sociale permettent l’accès de tous de à cette médecine de pointe dont l’hôpital public devient le pivot et le fer de lance du progrès médical.
Le système de santé français se construit ainsi autour de l’accès individuel à une médecine de pointe au sein de l’hôpital. La santé publique, la prévention et la recherche sur les déterminants de santé n’intéressent plus. Le médecin ne cherche plus à prévenir les maladies, puisqu’il a le pouvoir de les vaincre. La santé publique et la santé environnementale sont reléguées au second plan et deviennent les « parents pauvres » du système de santé français.
Parallèlement, les politiques de l’environnement se développent et s’autonomisent en tant que protection de l’environnement et de ses composantes naturelles (l’eau, l’air, la faune, la flore). Les préoccupations environnementales sont sur le devant de la scène et le droit de l’environnement devient une discipline à part entière.
La rupture entre santé et environnement est consommée.
Pourtant, très vite, la médecine curative va atteindre ses limites et les deux piliers du système vont s’effondrer. D’une part, malgré des progrès fabuleux et un système de santé des plus performants, les indicateurs de santé des Français sont médiocres; de nouveaux fléaux émergent et la science paraît avoir désormais un train de retard. D’autre part, les dépenses de santé explosent, contraignant les pouvoirs publics à repenser le système afin de faire des économies.
C’est dans ce contexte que la santé publique et la prévention sanitaire vont revenir sur le devant de la scène. Il apparaît que les campagnes de prévention sont globalement moins coûteuses et plus efficaces en terme de morbidité et de mortalité. Et au sein de cette politique de santé publique, l’environnement va tenir évidemment une place importante et croissante, d’autant que la prise de conscience écologiste de l’opinion est passé par là.
Des crises sanitaires majeures à l’origine d’une crise de confiance
Parallèlement à ce retour de la médecine vers la santé publique, des crises sanitaires majeures vont remettre l’accent sur l’intimité et l’importance des liens entre santé et environnement. Et ces crises ébranlent tout à la fois les certitudes médicales, les hiérarchies administratives et les priorités politiques. La sécurité sanitaire bouscule notre société et nos gouvernants, et propulse dans le même temps sur le devant de la scène l’épidémiologie et les politiques de lutte contre les fléaux sanitaires.
Le drame du SIDA, outre la crise de la science et du pouvoir médical qu’il a provoquée[1], a mis en exergue les failles d’un système administratif qui n’a pas pu empêcher la contamination de masse par le VIH mais au contraire l’a favorisée. Puis, il y a eu Tchernobyl, l’hormone de croissance, la canicule, etc. etc. Mais également les affaires de contamination par animaux interposés (encéphalites spongiformes transmissibles, chikungunya) qui ont ébranlé un système cloisonné (la santé humaine d’un côté, la santé animale de l’autre et encore à côté la sécurité alimentaire). Enfin, le scandale de l’amiante illustre encore cette faillite d’un système incapable de protéger les populations face à des incertitudes et même des certitudes scientifiques.
Ces crises ont par conséquent mis à mal le système de santé français incapable de gérer des risques sanitaires, alimentaires et professionnels majeurs. Ainsi, la crise de confiance dans l’expertise se double d’une crise de confiance dans les pouvoirs publics soupçonnés de mensonge, de dissimulation et de calculs politiques. Le manque de diligence des pouvoirs publics dans les affaires du sang contaminé et de l’amiante, ou le mensonge autour du nuage de Tchernobyl, sont autant d’exemples qui ont ébranlé la confiance de l’opinion, confiance qui n’est toujours pas rétablie.
Ces crises devraient favoriser une réflexion nouvelle sur la gestion des risques pour la santé humaine, une gestion préventive et collective. Cette réflexion et l’analyse des risques sanitaire va nécessairement s’orienter vers les risques environnementaux afin de prendre la mesure des liens entre santé et environnement. C’est ce que souligne C. London : « Avec le temps et en raison des crises diverses qui secouent la société civile, les liens entre la protection de la santé, la sécurité au travail et l’environnement deviennent de plus en plus étroitement imbriqués. Par ce biais, on revient aux analyses faites à la fin du XIXe siècle lorsque les problèmes de santé publique étaient indissolublement liés à l’hygiène et l’environnement. »[2]
C’est dans ce contexte que, plus d’un siècle après la première, une deuxième grande loi de santé publique a été votée le 9 août 2004[3]. Cette loi inaugure une véritable promotion de la santé publique, définie comme une priorité d’action de l’Etat.
Ainsi les effets des facteurs environnementaux en tant que déterminants de la santé ne peuvent plus être ignorés et doivent être pris en compte pour améliorer l’état de santé des populations. La renaissance de la santé publique passe par son retour aux préoccupations environnementales en tant que facteurs de santé pouvant, et devant, être améliorés. Les craintes et les attentes sociales sont fortes. La recherche tend à identifier l’impact de ces facteurs dans certaines maladies ou dans leur aggravation. De plus des études économiques commencent à établir le coût financier de ces maladies environnementales, de sorte que les politiques de maîtrise des dépenses publiques vont également dans le sens d’une amélioration de la prévention et donc d’une politique environnementale de réduction des risques pour la santé.
[1] Depuis plus de vingt ans aujourd’hui, la toute-puissante science médicale n’a en effet pas réussi à endiguer ce fléau. L’arrogance des médecins s’est heurtée à leur impuissance et à leur manque de connaissance et de compréhension face à un corps de malades bien constitué, très éduqué et donc particulièrement bien informé. Et cette crise de la science médicale trouve écho dans la crise de confiance dont pâtit aujourd’hui la recherche scientifique et l’expertise qui ne parviennent pas à apporter des réponses suffisamment rapides et précises aux nouveaux enjeux et aux nouvelles interrogations telles la téléphonie mobile et plus généralement les questions de santé environnementale. Une étude de l’INPES confirme que les Français n’ont plus confiance dans l’expertise scientifique qui s’est fourvoyée dans des connivences avec le pouvoir. (« Les Français et les risques environnementaux : perceptions, attitudes et sentiment d’information, Baromètre santé environnement, 2007)
[2] (C.) LONDON, Santé et environnement : des approches complémentaires ?, LPA, 8 mars 2001, n° 48.
[3] Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la santé publique.
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